29 juillet 2019, l’humanité consomme plus de ressources que la Terre ne peut en produire[1]. Nous vivons en surendettement et personne ne change sa façon de consommer. Cela veut dire que pendant les 5 mois de l’année 2019 restants, nous avons puisé dans des réserves que nous ne pourrons jamais reconstituer.

Début 2020, la dette s’accumule…mais qu’importe, puisque mon quotidien à court terme ne change pas !

Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psychologie, nous donne dans son livre « Le bug humain » quelques clés de lecture sur notre incapacité à agir pour s’adapter à une réalité pourtant inéluctable. A force d’exemples sur le changement climatique, le consumérisme, l’obésité, l’infobésité et les réseaux sociaux, il nous sensibilise sur le fonctionnement primitif de notre cerveau, pilote automatique en quête perpétuelle de plaisir immédiat.

Oui, notre cerveau est un organe primitif, bien que hautement sophistiqué, subtil et interconnecté. Il est toujours programmé par défaut pour répondre aux besoins de survie à brève échéance : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, tout cela avec un minimum d’effort en glanant un maximum d’information sur son environnement. Ces 5 grands objectifs ont toujours été les préoccupations de tous les cerveaux avant le nôtre dans l’évolution des espèces vivantes depuis des milliards d’années.

Sébastien Bohler explique comment ces 5 « renforceurs primaires » : la recherche de nourriture, de partenaire sexuel, de pouvoir, d’information et de moindre effort, certes utiles dans un monde animal où la survie dépend de cette quête, sont encore aujourd’hui les moteurs par défaut de notre espèce humaine, pourtant aussi capable de prouesses intellectuelles et technologiques incroyables.

Pourquoi ce constat ?

Striatum coupable !

La faute revient à notre Striatum, noyau cérébral profond, indestructible et prioritaire sur tout le reste de nos circuits neuronaux, afin d’assurer notre survie. Son mécanisme est archaïque et simple : dès lors qu’un comportement permet une meilleure chance de survie (recherche de nourriture, de partenaires sexuels, de statut social ou exploration de nouveaux territoires), le striatum est inondé de dopamine, hormone du plaisir et de la mise en mouvement et ce comportement se trouve renforcé. C’est le principe du « circuit neuronal de la récompense » qui pousse tout un chacun à reproduire une action fructueuse pour toujours plus de plaisir et de satisfaction à court terme.

Ainsi aujourd’hui, la surabondance de nourriture répond à cet instinct de notre cerveau primitif qui interprète le fait de « stocker » comme un avantage pour la survie. Sur le même principe, la surinformation perpétuelle stimule notre striatum qui se sent privilégié et avantagé d’en savoir plus que les autres car être informé permettait d’être mieux préparé face aux prédateurs. L’industrie de la pornographie sur internet, déclinaison moderne de recherche de partenaires sexuels risque de s’accentuer avec l’arrivée de la réalité virtuelle et stimule directement notre striatum, réseau du désir et du plaisir à moindre effort. Enfin les réseaux sociaux répondent à une quête de popularité et de statut social, signe de pouvoir sur sa communauté, conformément aux instincts primitifs de notre espèce cherchant à assurer sa survie en milieu hostile.

Autant de comportements instinctifs qui sont largement exploités dans notre société de consommation où l’on accède à tout de plus en plus facilement et de plus en plus rapidement avec un risque d’accoutumance au plaisir facile. Dans ce contexte moderne, il devient difficile pour un individu de s’engager sur un changement de comportement, même lorsque cet engagement le concerne directement, même s’il s’agit d’une promesse de mieux-être dans un futur proche.

Nous sommes comme les pilotes d’un avion, dont les témoins lumineux hurlent à tue-tête pour signaler un crash imminent, et cependant, nous nous disons « il nous reste 2 mn, on a encore le temps de préparer un bon café » – Sébastien Bohler – le bug humain –

Le plaisir à court terme est plus fort que la menace à long terme dans nos circuits neuronaux automatiques

Super Cortex à l’aide !

Que faire ? Faire confiance à notre volonté et raison ? Après tout, fort de ce constat, grâce à l’intelligence humaine, pourquoi n’irions-nous pas vers la tempérance, la modération, la résignation ? Que fait notre cortex préfrontal, cette partie évoluée du cerveau humain, qui nous permet d’anticiper, de planifier, et de construire des raisonnements élaborés ? En effet, le développement de notre cortex préfrontal nous a permis depuis un million d’année environ de nous élever des autres mammifères pour aboutir à des constructions technologiques aujourd’hui si complexes qu’elles sont en train de nous dépasser (Intelligence Artificielle)

C’est bien là le paradoxe, le bug humain : nous avons la capacité de nous réguler grâce au cortex préfrontal qui raisonne et fait la synthèse des forces en présence pour s’adapter intelligemment, et en même temps nos circuits primitifs nous poussent à vouloir toujours plus, plus facilement pour une satisfaction immédiate.

Qui va gagner ? Le plus intelligent ? Le plus instinctif ? Si c’est notre striatum, nous courons à notre perte. Si c’est notre cortex, encore faudrait-il collectivement s’accorder sur la direction à prendre…

Comment s’en sortir ?

Juge de paix : Striatum et Cortex

Comme souvent, la solution n’est pas dans les extrêmes. La résignation, le renoncement à la facilité est contre-nature pour un cerveau conçu pour répondre au moindre effort par défaut. Notre cerveau fonctionne par économie d’énergie. Le rapport énergie dépensée par rapport au gain potentiel à court terme est notre programmation initiale.

La solution est dans l’alliance entre le plaisir court-terme recherché par défaut et l’activation de notre cortex préfrontal, véritable intelligence adaptative qui compile les connaissances de notre environnement avec nos émotions de l’instant.

Puisque la recherche d’information sur notre environnement est un renforceur primaire, source de plaisir, utilisons cet instinct pour nous nourrir d’information, pas de fake news, l’info facile et inutile qui abreuve de sensationnel, mais d’information utile. Donnons-nous les moyens d’accéder à la connaissance de soi, du monde et des enjeux qui nous entourent. Ne nous privons pas de cette capacité naturelle à générer de la satisfaction à court-terme. Cette quête d’information qui génère de la dopamine, hormone du plaisir et de la mise en mouvement, peut nous permettre alors de faire des choix éclairés pour changer ce qui nous importe vraiment. Changer durablement passe par la responsabilisation individuelle autant que collective. Changer peut devenir une stimulation au lieu d’une contrainte dès lors que nous choisissons en conscience ce que nous voulons modifier. Nous augmentons ainsi nos chances de pérenniser nos comportements.

Par ailleurs, mieux se connaître développe une forme de pouvoir (un des 5 renforceurs primaires) donc une satisfaction immédiate. Le pouvoir de se gérer soi-même, de devenir autonome et engagé dans ses propres choix.

Ainsi, le paradoxe de la primauté des plaisirs immédiats sur notre intelligence adaptative peut être enrayé grâce à un des maillons de la « chaîne infernale ». Nous pouvons transformer le cercle vicieux en cercle vertueux grâce à notre instinct. Notre striatum est avide de connaissances et c’est la porte d’entrée pour changer de paradigme et passer d’une société de consommation et de croissance matérielle à une société de conscience.

Dans un prochain article j’explorerai des pistes d’action concrètes pour renforcer l’accès à la connaissance de soi et du monde afin de cocréer le changement vers cette société de conscience.

[1] [1]« Earth overshoot day » « jour du dépassement » indicateur calculé par l’ONG Global Footprint Network en comparant la consommation annuelle de l’humanité en ressources écologiques (Empreinte Ecologique) à la capacité de régénération de la Terre (biocapacité)

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