Dans un article précédent « le monde va mal… déculpabilisons », inspirée par la lecture du livre de Sébastien Bohler « le bug humain », je mettais en lumière le fonctionnement primitif de notre cerveau qui paradoxalement prend le pas sur notre intelligence évoluée, capable d’anticipation et d’adaptation.

Le plaisir à court terme est plus fort que la menace à long terme dans nos circuits neuronaux automatiques.

Cet état de fait nous a propulsés dans une surexploitation de nos ressources écologiques et dans une dépendance à la consommation facile. La pandémie covid-19 aura eu le mérite de nous rappeler notre vulnérabilité et de stopper radicalement cette illusion de contrôle sur notre environnement.

En phase de déconfinement, alors que nous nous questionnons tous à juste titre sur « le monde d’Après », voici la suite de mes réflexions pour trouver des issues pragmatiques au paradoxe cérébral de l’espèce humaine.

Pour mémoire, les 5 instincts (renforceurs primaires) de notre espèce sont toujours les même depuis des milliards d’années : recherche de nourriture, de partenaires sexuels, de pouvoir, et recherche d’information, avec comme principe de fonctionnement général, l’économie d’énergie, donc la recherche de moindre effort. Cinq principes instinctifs exploités par notre société de consommation à notre insu.

Néanmoins, et c’était la conclusion de l’article précédent, la clé d’adaptation pour sortir de cette dépendance destructive se trouve dans le cœur même du striatum, notre moteur primitif. Il s’agit de permettre à notre cerveau d’accéder à ce plaisir court terme dont il a besoin en ciblant un des renforceurs primaire, la recherche d’information sur son environnement. En nourrissant ce besoin instinctif d’information, il devient possible de sortir du cercle infernal de la primauté des plaisirs immédiats sur notre intelligence adaptative.

Voyons donc concrètement, dans nos écosystèmes, quelle forme pourrait prendre cette recherche instinctive d’information « utile » pour mieux se connaître, mieux comprendre notre environnement et les enjeux qui nous entourent. Ceci afin d’être en mesure de décider en conscience quelle direction prendre, quel sens donner à notre avenir en pleine crise sanitaire, sociale et environnementale.

Sensibiliser le plus grand nombre

Nous ne sommes pas tous égaux quant à la manière d’accéder à cette connaissance. Interrogeons-nous sur comment sensibiliser et responsabiliser le plus grand nombre de personnes afin de généraliser cette capacité à se satisfaire d’autre chose que du plaisir de la consommation facile. Comment ancrer d’autres habitudes dans un monde où nos démons sont sollicités pour créer la dépendance ?

Considérant qu’à l’échelle globale de la société nous pouvons espérer ancrer de nouveaux comportements en une génération, c’est-à-dire en 20 ans environ d’éducation/sensibilisation (ex de la cigarette auprès des jeunes), voici quelques pistes de réflexion-action. La liste n’est pas exhaustive, il s’agit de réponses qui font particulièrement sens pour moi.

Dès l’enfance 

  • Permettre de développer tôt, dès la petite enfance, la connaissance de soi. Certaines écoles ont commencé à éduquer les très jeunes enfants à l’expression de leurs émotions et à l’empathie. C’est une pratique courante au Danemark et elle est se répand dans d’autres pays européens, dans les établissements où les enseignants sont sensibilisés à la démarche. Citons le travail de l’association Savoir-être-à-l’école en France, et Learn to Be en Belgique qui œuvrent à outiller les enseignants à mieux gérer le stress, les émotions et les motivations des élèves.

  • Donner aux enfants dans leur éducation parentale et scolaire, la possibilité de remettre en question les choses acquises, pour développer le discernement et l’esprit critique qui préserverons l’autonomie de penser par soi-même, et de faire le tri dans les sources d’information. Quelques questions clé comme « Qui affirme cela ? » « Qui n’est pas d’accord ? » « Quelles sont les preuves ?» peuvent les aider à renforcer la vigilance et les débats d’idées. La recherche contemporaine en psychologie du développement montre que l’enfant a une curiosité naturelle et est capable d’être sélectif dans ses sources de confiance. Et c’est bien là le sens de l’esprit critique : faire confiance à bon escient et non pas douter de tout.

  • Développer la capacité d’attention car la qualité de notre attention conditionne directement notre degré de bien-être. Le rôle de l’attention est double : il s’agit de nous donner une conscience du monde qui nous entoure et de réguler nos pensées et émotions.

    Aujourd’hui, la capacité moyenne d’attention ne dépasse guère 10mn. Le zapping et la surabondance d’information en flux continu nous laisse croire que nous pouvons gérer de front plusieurs sujets, mais force est de constater qu’il est de plus en plus difficile de rester concentré et attentif. Or, notre cerveau n’est pas multitâche dès lors qu’il doit mener une réflexion. Les scientifiques sont unanimes : les natifs du numériques ne seront pas plus multitâches que les autres. C’est une habitude toxique pour nos neurones qui conduit juste à une dangereuse illusion de compétence. Il est urgent de ralentir le rythme de traitement de l’information si nous voulons préserver nos capacités cognitives et éviter la surcharge mentale. Certains programmes sont en cours d’expérimentation pour sensibiliser dès le plus jeune âge et donner des pratiques nouvelles dans les écoles afin de développer la capacité des élèves à stabiliser leur attention. Citons le programme ATOLE « apprendre l’ATtention à l’écOLE » de J.P. Lachaux, Directeur de Recherche en Neurosciences Cognitives à l’INSERM.

A l’adolescence

  • Continuer au collège et au lycée dans les voies de la connaissance de soi, du développement de l’attention et de l’esprit critique pour encourager l’expression du libre arbitre. Plus tôt aura commencé l’initiation, plus facile sera la posture. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il devient parfois plus difficile de remettre en cause certaines vérités à l’adolescence parce que cela entraîne un renoncement à certaines croyances déjà ancrées, et génère donc une forme d’angoisse ou d’insécurité psychologique. Certains professeurs de philosophie constatent en classe de terminale, combien les adolescents entrent en résistance dès lors qu’ils sont sollicités en cours pour remettre en cause des postulats, des grandes vérités existentielles, même de façon créative et ludique.
    Cependant, c’est à l’âge de la rébellion que peuvent naître des énergies créatrices de valeur ajoutée pour redéfinir nos comportements et initier de nouveaux modes de pensées, de vie et de consommation. L’effet Greta Thunberg (lutte contre le réchauffement climatique) est un exemple des initiatives possibles pour influencer les courants de penser à venir.

  • Systématiser le coaching de développement et d’orientation pour permettre aux forces vives de s’exprimer et pour ancrer la confiance en soi nécessaire à la prise d’initiative. Le rapport au travail est en train d’évoluer et de nouvelles voies plus pérennes et porteuses de sens pourront émerger grâce aux générations conscientes des enjeux et de leur propre potentiel à bouger les lignes.

  • Généraliser les travaux d’intérêt général pour donner pendant quelques mois la possibilité aux jeunes de mieux comprendre les réalités sociales de leur environnement.

A l’âge adulte

  • Développer dans tous les univers professionnels des parcours de formation continue complets pour acquérir des compétences transversales d’adaptabilité et de résilience. C’est encore plus vrai dans un contexte de crise et de sortie de confinement progressif. Peu de personnes sont aujourd’hui suffisamment aptes à gérer leurs propres émotions et encore moins celles des autres. Une minorité trouve du sens à leur quotidien professionnel et peu sont en mesure de parler de leur valeur ajoutée au travail. Beaucoup se sentent impuissants face aux défis à venir et on ne leur laisse pas vraiment le temps de s’y préparer, tant le flot des urgences quotidiennes est prioritaire. Imaginons des parcours qui donneraient la possibilité de mieux connaître ses propres ressorts motivationnels, de mieux appréhender les relations interpersonnelles, des parcours qui ouvriraient des perspectives, au-delà des compétences professionnelles, en informant sur les enjeux environnementaux, sociétaux et inciteraient à des actions collectives pour s’adapter localement dans le milieu du travail. Ces parcours existent, et ils méritent d’être généralisés, encouragés, financés

  • Démocratiser le coaching individuel, sans nécessairement avoir un objectif professionnel de performance, pour retrouver une dynamique de contribution active aux missions collectives de l’organisation et/ou de la société en général. Le dernier sondage Gallup sur l’engagement au travail annonce 70% de salariés désengagés. Il y a urgence à redonner le plaisir de contribuer au collectif. L’être humain ne demande que ça, contribuer, trouver du sens dans ses actes. Notre système nerveux est conçu pour agir, pas pour être passif.

  • Développer l’accès à des méthodes parallèles de connaissance et de maîtrise de soi comme la méditation, la pleine conscience qui permettent de développer la concentration et le lâcher-prise. Ces approches en vogue arrivent en entreprise, ce qui était encore impensable il y a 3 ans. Saluons cette tendance qui pourrait aider, avec d’autres vecteurs, à développer la métacognition, c’est-à-dire la conscience de son propre fonctionnement mental, et donc constituer un antidote puissant aux démons de la dépendance sous toutes ses formes.

  • Encourager la spiritualité laïque afin de multiplier les accès aux informations qui nous élèvent vers une meilleure conscience de soi et des autres.

  • Imaginer, dans le registre des compétences relationnelles à moyen-terme, des programmes de formation à l’interaction avec des robots humanoïdes. L’Intelligence artificielle risque de venir changer les frontières de la sociabilité. Comment allons-nous interagir avec de potentiels collègues/collaborateurs robots à apparence humaine ? Quel type de relation voulons-nous accepter ?

Conclusion

Notre striatum est avide de connaissance et c’est un gisement prometteur pour l’économie du futur. Ce pourrait être un substitut intéressant à la croissance matérielle. Basculer vers une économie de la conscience plutôt qu’une économie de la croissance matérielle est une issue possible. Développer des expériences qualitatives en élevant le niveau de conscience de ce que nous vivons nous permettrait de redéfinir nos attentes et nos désirs pour un mode de vie différent.

L’idéal serait évidemment que les responsables politiques, les acteurs économiques, tous au niveau international, apportent leur contribution à cette orientation. Nous ne sommes pas aujourd’hui engagés dans cette sagesse, d’où la nécessité de se responsabiliser individuellement, chacun à son échelle, et selon ses aspirations.

Cette perspective créative est plutôt dynamisante car elle permet à chacun de s’engager en conscience de ses propres choix. Cette forme de liberté génère une décharge de dopamine, la fabuleuse hormone du plaisir et de la mise en mouvement. En ces temps de sortie de confinement, la perspective de liberté et de plaisir retrouvés devient fondamentale. Ainsi notre cerveau peut continuer de répondre à son besoin primaire de plaisir court terme tout en nourrissant un but constructif pour soi et pour la communauté toute entière. Nous pouvons donc compter sur nos ressources internes et gratuites pour contrebalancer l’impact des transformations à venir et ainsi contribuer à faire naître une société de la conscience plus évoluée, plus interconnectée spirituellement et plus responsable, si ce n’est collectivement, alors au moins individuellement pour commencer.

Beaucoup le disent…peu encore passent à l’action et pourtant notre cerveau ne demande qu’à agir en se faisant plaisir, aidons-le à redéfinir ses priorités en le nourrissant habilement !